Sonder la nébuleuse houellebecquienne
9782851971876
Michel Houellebecq | Éditions de L’Herne
Houellebecq en mosaïque
Céline, Baudrillard, Camus, Blanchot, Kafka, etc. Tous ont fait l’objet d’un Cahier de l’Herne. Ce projet littéraire, existant depuis les années 1960, invite les lecteurs à la découverte d’un auteur, souvent controversé, à la lumière d’une somme de documents divers : articles de presse, textes inédits, correspondances, analyses, éléments iconographiques et récits biographiques. Le but avoué des Éditions de l’Herne est de pénétrer au cœur de l’œuvre d’un auteur, sans parti pris, en favorisant une liberté interprétative des commentateurs.
Nul n’est surpris de voir entrer Houellebecq dans la série d’écrivains faisant partie du corpus des Cahiers. Parce qu’on le dit dérangeant, subversif, témoin privilégié de notre époque, polygraphe, antilibéral, Houellebecq était un candidat de choix pour participer à l’aventure des Cahiers. Aussi pourrait-on dire que les productions multigénériques de Houellebecq (il a écrit de la poésie, du roman, des essais, etc.) ainsi que ses nombreuses excursions en dehors de la littérature (au cinéma, en photographie, en musique, etc.) ont fait de lui un artiste surexposé et tendant à l’ubiquité. Houellebecq, en tant que sujet d’étude, incarne une figure démultipliée qui s’offre en mosaïque. Agathe Novak-Lechevalier nous rappelle que « [les] Cahiers de l’Herne, qui posent en principe la fragmentation et le mélange des genres, sont le lieu idéal [d’une] d’approche plurielle […]. En faisant s’entrecroiser les textes rares ou inédits, les essais universitaires, les témoignages de proches, d’écrivains, d’artistes, de musiciens, d’amis ou d’ennemis […] ce Cahier voudrait offrir non pas une image fidèle, mais un portrait diffracté, en mouvement, variant selon les perspectivesi ».
Au terme de la courageuse traversée de la constellation formée par les textes réunis dans le Cahier, un constat s’impose : la réception des œuvres de Houellebecq est plutôt homogène car ledit auteur est considéré comme l’un des plus grands de notre époque. Selon Frédéric Beigbeder, Plateforme « place […] Michel Houellebecq loin, très loin au-dessus des autres écrivains français vivantsii. » Dans « L’atelier Houellebecq à Phuket », Emmanuel Carrère n’hésite pas à relever l’importance déterminante des textes de Houellebecq : « c’est que si nous avons des descendants et ces descendants veulent savoir ce que vivait et pensait l’humanité occidentale au tournant du troisième millénaire, c’est lui qu’ils devront lireiii. » Dans « Ecce Homo », Pierre Cormary s’exclame : « Houellebecq! Le seul écrivain français dont un jeune plumitif d’aujourd’hui peut dire : ‘’ Je voudrais être Houellebecq ou rien! ‘’ Le seul qui ait compris l’époque. Le seul qui mérite vraiment d’être luiv. »
Tout ceci s’apparente à un vice de méthode puisqu’il s’agit avant tout de « rendre hommage » à Houellebecq. N’empêche que le Cahier renferme quelques pièces qui méritent d’être soulignées. Dans « Du bon usage du suicide », Bernard-Henri Lévy raconte les origines tragi-comiques d’un projet de correspondance qu’il a préparé avec Houellebecq, lequel a abouti à la publication d’« Ennemis publics ». On a jugé bon de reproduire l’excellent entretien qu’ont accordé Michel Houellebecq et Bret Easton Ellis au journal Der Spiegel et où l’on discute des excès de la sexualité et de la violence présents dans l’œuvre des deux auteurs. Le lecteur du Cahier peut également lire « Et, en tout, apercevoir la fin… » écrit par Philippe Murray. Ce dernier réussit à bien résumer l’essence de l’être houellebecquien : « le personnage romanesque de Houellebecq […] apparaît au milieu d’un paysage dévasté, perdu dans un décor qui n’est plus qu’un fatras de liens rompus, un amoncellement de bouts de ficelle brisés. Attaches sociales, sentimentales, historiques, familiales, culturelles, etcv. »
Il n’est pas de notre désir (l’espace nous manque et le matériel disponible est dense) de faire le tour des publications marquantes du Cahier sur Houellebecq. Pour terminer, mentionnons simplement que les lecteurs ayant fréquenté l’univers de Plateforme, des Particules élémentaires et d’Extension du domaine de la lutte seront peut-être déçus que certains commentateurs reprennent à peu près tout ce qu’on a déjà dit sur Houellebecq. À l’inverse, le Cahier a de quoi intéresser et surprendre, car le lecteur a accès, pour la première fois, à une pièce de théâtre (jusqu’alors inédite) écrite par Houellebecq (en collaboration avec Pierre-Henri Don) et à des fragments biographiques (contenus dans le morceau « Mourir », également un inédit). Ce Cahier vaut assurément le coup d’œil et certains n’hésiteront pas, on le sent bien, à prendre le temps nécessaire afin de le lire dans son intégralité.
Alexandre Laliberté
i Agathe Novak-Lechevalier [dir.], Michel Houellebecq, Paris, Éditions de l’Herne, 2017, p. 13-14.
ii Ibid., p. 124.
iii Ibid., p. 194.
iv Ibid., p. 209.
v Ibid., p. 248.