Petit traité de résilience locale
Vers le monde d’après
En vue cavalière, on pourrait accoler aux discours dominants un sentiment diffus, celui d’une crise généralisée. Selon le philosophe Marcel Gauchet, notre époque est caractérisée par une « crise inédite et simultanée de la démocratie, du libéralisme et du capitalismei ». Certains écologistes vont assombrir ce tableau pessimiste de la société : ils anticipent l’effondrement de notre civilisation industrielle. En filigrane de cette approche figure l’idée d’un « catastrophisme éclairé » : « Un effondrement n’est pas la fin du monde, ni l’apocalypse, ni une catastrophe ponctuelle que l’on oublie après quelques mois, comme un tsunami ou une attaque terroriste. Un effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loiii. » Aux yeux des auteurs derrière le Petit traité de résilience locale, la thèse de l’effondrement garde une validité entière puisque la fin de l’époque des énergies fossiles abondantes est imminente et l’ « expansion matérielle exponentielle de notre civilisation a irrémédiablement perturbé les systèmes naturels dont elle dépendiii », ce qui annonce « des ruptures de nos systèmes alimentaires, sociaux, commerciaux et médicaux, c’est-à-dire […] des déplacements massifs de population, des conflits armés, des épidémies et des famines qui mettront à mal la stabilité, voire la viabilité, de nos sociétésiv ».
Si l’on fait fi des capacités prédictives de ces auteurs, on trouve le cœur battant de leur réflexion : la résilience comme « nouveau phare pour concevoir des systèmes ou des politiquesv ». Pour construire un monde « post-carbone », il est nécessaire d’intégrer à notre imagination politique « cette capacité qu’a un système de maintenir ses principales fonctions malgré les chocs, y compris au prix d’une réorganisation internevi ». Il s’agit bien d’aller à contre-courant du mouvement dominant qui valorise l’individualisme de singularité ou qui autorise l’effacement du surplomb collectif, on parle d’une résilience globale qui consiste à « tisser des réseaux d’entraide débordant de ressources décentralisées, autonomes, capables de se mobiliser rapidement en cas de besoin et ouverts à celles et ceux qui cherchent à anticiper les chocs systémiquesvii ». Pour faire face aux conséquences du changement climatique, au manque croissant de ressources naturelles et à la dégradation de la disponibilité des hautes technologies, les auteurs du Petit traité de résilience locale proposent une grande réserve de solutions. Sans se lancer dans un fastidieux passage en revue des mesures proposées, mentionnons les trois politiques centrales de résilience qui sont mises de l’avant : « réduire la complexité des systèmes sociotechniques en mobilisant une grande requalification sur la base d’emplois locaux permaculturels dans les low-tech, non-délocalisables […]. […] organiser la résilience des villes face au changement climatique et la résilience des systèmes de transports face au pic pétrolier. […] concevoir les infrastructures selon des principes de redondance, de modularité, d’adaptabilité à différentes échelles et à différents usagesviii. »
Comme le soulignent les essayistes, réfléchir au concept de résilience nous permet de « [r]enouer avec le sentiment d’interdépendance qui nous lie au reste du vivant, visualiser l’envers énergétique du décor […]ix. » Cependant, à prendre les choses de plus loin, le véritable gain obtenu par cet effort de réflexion pourrait constituer le rafraîchissement de notre imaginaire politique et, pour reprendre les termes de Jacques Rancière, « la réélaboration du perceptible et du pensablex ».
i Alain Badiou et Marcel Gauchet, Que faire?, Paris, Gallimard (Le Forum), 2016, p. 112.
ii Agnès Sinaï, Raphaël Stevens, Hugo Carton, et al., Petit traité de résilience locale, Montréal, Écosociété, 2016, p. 9.
iii Ibid., p. 10.
iv Idem.
v Ibid., p. 14.
vi Idem.
vii Ibid., p. 30.
viii Ibid. p. 34-35.
ix Ibid., p. 55.
x Jacques Rancière, En quel temps vivons-nous?, Paris, La Fabrique éditions, 2017, p. 34.
Alexandre Laliberté