Par la peau des couleuvres de Mathieu Simoneau
9782897661595
Simoneau, Mathieu – Par la peau des couleuvres | Éditions du Noroît
De la bride à la mue
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Trois ans après la parution de son premier recueil, Il fait un temps de bête bridée, le poète de Québec Mathieu Simoneau nous revient avec un nouvel ouvrage, intitulé Par la peau des couleuvres et publié, tout comme le précédent, aux Éditions du Noroît.
On se souvient que dans le premier opus de Mathieu Simoneau, la voix poétique pointe du doigt et dénonce la laideur du monde sous toutes ses formes : monotonie et grisaille de la vie quotidienne, aliénation de l’être humain à son travail pour le bénéfice des grandes puissances économiques et politiques, destruction de l’environnement, maltraitance envers les animaux, etc. Ce faisant, elle tente d’amorcer un réveil collectif en interpelant ses concitoyens et en attisant leur indignation, mais constate que cela ne va pas de soi et finit par céder à l’inertie ambiante, non sans une profonde désillusion :
je garderai en moi
ce troupeau qui bêle
le long des clotûres
[…]
de 9 à 5
mes rêves ont de la moulée plein le bol
et secouent leur chaîne
pour se dégourdir
(Il fait un temps de bête bridée, p. 31 et 65)
Cette dimension est toujours présente dans Par la peau des couleuvres, tout comme l’opposition entre la ville comme lieu d’aliénation et la nature, dont la femme est parfois une métaphore, comme espace de liberté. Toutefois, le ton est ici beaucoup plus méditatif, ce qui nous amène plus loin dans l’intériorité du je, qui met progressivement au jour le caractère ancestral de son « insuffisance natale » à changer l’ordre des choses, notamment à travers la figure du grand-père, et qui retourne sa colère contre lui-même, plutôt que de la projeter vers les autres :
tu ne sais plus
qui de toi tu pourrais abattre
(Par la peau des couleuvres, p. 65)
Alors que l’on referme le premier livre de Mathieu Simoneau sur une note assez pessimiste, le deuxième nous laisse une impression plus nuancée. En effet, l’espoir semble poindre à travers la mélancolie et, paradoxalement, la mort elle-même, tandis que la parole, dont le je prend conscience du pouvoir limité, se mue progressivement en un silence porteur de paix et de fécondité :
la mort
la plus abstraite des fécondités
[…]
le silence
en son pourrissement
fera œuvre utile (ibid., p. 39 et 54)
Signalons enfin le style moins direct et plus évocateur de ce second recueil, comme en témoignent les images, foisonnantes mais fort justes, de cette poésie au diapason des grands enjeux sociaux et environnementaux. De quoi éveiller notre curiosité sur ce que nous réserve l’auteur lors de sa prochaine « mue poétique ».
Dominic Deschênes