Les cigognes sont immortelles d’Alain Mabanckou
9782021304510
Mabanckou, Alain – Les cignones sont immortelles
Seuil
Lorsque la petite histoire familiale
bute contre la grande Histoire
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Nous pouvons considérer Alain Mabanckou comme un écrivain marquant de la littérature africaine et du monde francophone. D’ailleurs, sa bibliographie témoigne de la richesse et de l’étendue de son œuvre. Mabanckou est poète et romancier, tout en étant auteur de plusieurs récits et essais. Il prête aussi sa plume à des ouvrages collectifs. En plus d’être un écrivain prolifique, sa personnalité se démarque dans sa façon de se vêtir où l’on dénote une touche de bon goût et d’originalité. La grande classe, quoi!
Mais bon! Nous ne tenons pas un blogue sur la mode! Passons à la littérature et rapprochons-nous du but de ce texte. Au départ, je dois vous avouer une chose : Les cigognes sont immortelles est le tout premier roman de Mabanckou que je lis. Je n’ai donc pas de recul par rapport à ses livres précédents. Toutefois, la lecture de son dernier ouvrage m’a donné le goût de me plonger dans son œuvre littéraire. J’ai eu un réel plaisir à lire ce roman. Le style, l’humour, la drôlerie, les thèmes abordés et le côté loufoque de l’histoire nous permettent de passer des heures agréables de lecture. Un pur ravissement!
Grâce au caractère « léger » de l’histoire, nous retrouvons, par contraste, une réflexion profonde sur le destin tragique du continent africain. Ainsi, Mabanckou réussit à décrire avec brio et intelligence le sort d’une famille africaine quand celle-ci percute le tragique de la grande Histoire. Et oui, l’Histoire avec un grand « H ». En fait, même si le roman se déroule en Afrique, le récit de Mabanckou s’avère universel.
Voici un résumé de la trame narrative du roman : Michel, le narrateur, est un enfant de onze ans. Il vit avec Maman Pauline et Papa Roger, son père adoptif, dans une maison en « attendant ». Sa demeure est en fait une bicoque et il espère, un jour, vivre dans une « vraie » maison qui offre tout le confort moderne. Michel est-il Mabanckou? Peut-être, car il y a toujours, dans un roman, un savant et subtil mélange de fiction et de réalité. Michel est perçu comme un rêveur ayant souvent la tête ailleurs. Une façon d’oublier la dureté du quotidien. Le narrateur est un habile observateur. Il raconte la vie de ses parents, de ses proches, de son quotidien à l’école, de la vie à Pointe-Noire dans le quartier Voungou. C’est en quelque sorte une description de la banalité de Pointe-Noire faite à travers le regard d’un enfant. Tout cela est raconté avec la saveur inimitable des écrits de Mabanckou. Là réside tout son talent. Le quotidien de Michel se déroule ainsi dans le jardin de la maison où sous un arbre, son père écoute la Voix de la Révolution congolaise, la radio d’État qui diffuse des chants révolutionnaires soviétiques. C’est que notre narrateur a le « bonheur » de vivre dans la République populaire du Congo, sous la férule du camarade président Marien Ngouabi. Dans ce Congo révolutionnaire, Michel fait son instruction civique. Il rend hommage aux dirigeants socialistes de la planète et apprend à bien orthographier leurs noms. Et pour un enfant, ce n’est pas évident de maîtriser les quatre manières distinctes d’écrire le nom du dirigeant chinois: « Mao Zedong », « Mao Tsé-Toung », « Mao Tsé-tung » ou « Mao Tsö-Tong ». À propos de l’instruction civique, mentionnons que Mabanckou nous fait faire une visite de l’École du Parti : « À l’intérieur, sur les murs, il y a des photos en noir et blanc de Lénine, de Karl Marx, d’Engels, de Mao Tsé-Toung, de Staline, de Fidel Castro, de Léonid Brejnev, du maréchal Tito et du camarade Nicolae Ceauşescu.ses Mais la plus belle de toutes ces photos, c’est celle du camarade président Marien Ngouabi habillé en tenue para-commando et entouré de gens qui le félicitent parce qu’il a réussi à sauter de l’avion militaire sans se casser les jambesi. » Ainsi, le destin du narrateur et de sa famille est heurté de plein fouet par la grande Histoire lorsque le 21 mars 1977, le camarade président Ngouabi est assassiné à Brazzaville. Le jeune Michel devra faire face à la dureté de la politique. Quelle sera l’attitude à prendre pour le jeune Michel afin de protéger sa mère face aux autorités? Ce dernier apprendra rapidement que le mensonge est une voie de sortie pour protéger ses proches.
S’il faut lire Les cigognes sont immortelles pour son imaginaire foisonnant de drôlerie et de fantaisie, on doit surtout découvrir la fiction de Mabanckou puisqu’elle nous amène à réfléchir au côté cruel et dur de la politique.
Bruno Lapointe
i Alain Mabanckou, Les cigognes sont immortelles, Paris, Seuil, 2018, p. 119.