Le Rituel et Derniers jours d’Adam Nevill
Adam Nevill : redonner vie au surnaturel en littérature
Dans Le Rituel, quatre randonneurs anglais s’égarent au sein d’une forêt sombre et épaisse de la Suède. Au cœur de ce lieu qui semble appartenir à une autre ère, ils ne tardent pas à avoir l’impression que quelqu’un, quelque chose de très ancien les menace. En témoigne les offrandes macabres qu’ils trouvent sur leur chemin. En très peu de temps, ils doivent lutter pour leur survie, rationner la nourriture, se protéger. Et rien ne peut les avoir préparés à ce qu’ils découvriront. Quelques années plus tard, un cinéaste indépendant, Kyle Freeman, personnage principal de Derniers jours, aura réalisé un documentaire sur la disparition de quatre randonneurs en Suède. Un an après la réalisation de ce film, il commence un tournage à propos d’une secte de l’époque hippie. Les lieux qu’il visite semblent habités par une présence indicible qui dépasse l’entendement humain. Lui et son caméraman n’auront d’autres choix que de revoir leur conception rationnelle du monde.
L’écrivain anglais Adam Nevill est bel et bien en train de laisser sa marque dans la littérature fantastique. À l’instar de Lovecraft, Nevill cherche l’effet de terreur dans le surnaturel. Exit les tueurs en série et les esprits frappeurs. Pour cet auteur de la relève comme pour son illustre prédécesseur, l’humanité n’est qu’une infime partie d’un univers plus vaste et plus complexe que ne peuvent l’anticiper nos capacités mentales. Le récit résumé ci-dessus appartient réellement à deux romans distincts, mais on peut voir déjà que l’auteur n’hésite pas à s’auto-référencer (le personnage principal de Derniers jours a, dans son passé, réalisé un film sur les personnages du Rituel) donnant à ses écrits la cohérence d’un seul et même univers romanesque. Du simple roman d’horreur à la création éventuelle d’une nouvelle mythologie, il n’y a qu’un pas.
La différence fondamentale entre Nevill et Lovecraft (outre le style littéraire) est d’abord et avant tout dans la place que prend l’humain au cœur de l’Univers. Lovecraft était un athée et un matérialiste. Ses personnages n’étaient que de vagues avatars de l’auteur, sans grandes personnalités, pratiquement interchangeables : ils n’étaient dans l’histoire que pour témoigner de la futilité de notre existence dans le Cosmos. Rien de cela chez Nevill. Si ses personnages font preuve d’un rationalisme sain, ils montrent également une certaine ouverture aux possibilités de tout ce qui est spirituel. Ils sont également des témoins actifs et non passifs des événements qui se déroulent sous leurs yeux. Les entités surnaturelles de Nevill ne sont pas non plus des créatures antédiluviennes toutes puissantes venues d’une autre planète. Il faut chercher davantage dans les mythes, voire dans l’Histoire humaine, et utiliser une approche jungienne de la mythologie pour appréhender la possible origine de ce surnaturel. Par contre, tout comme le Maître de Providence, notre jeune auteur assume pleinement son approche surnaturelle en lui refusant toutes explications rationnelles, d’où un effet de terreur plus puissant pour le lecteur avide.
Et avide, le lecteur le sera certainement. Car Nevill a une prose que je qualifierais de cinématographique. À sa façon d’écrire, le lecteur voit instantanément la scène : le décor, les personnages, mais aussi l’attitude de ces derniers. Dire que ses romans laissent l’impression de visionner un film serait un euphémisme dans le cas de Derniers jours : remarquablement bien documenté sur le cinéma guérilla, l’auteur nous fait souvent voir l’action à travers l’œil de la caméra. Si vous avez l’impression parfois d’y voir Blair witch project ou [REC], vous ne faites pas erreur, Nevill citant ces deux films comme sources d’inspiration pour ce roman. Notre auteur fait souvent étal d’un excellent travail de recherche pour chacun de ses livres et n’hésite pas à livrer ses sources pour le lecteur désireux d’en savoir davantage.
Les lecteurs qui se seront plongés dans la forêt païenne du Rituel ou dans le cinéma-vérité en quête de la secte des Derniers jours m’objecteront que je fais un lien qui semble léger entre Nevill et Lovecraft, tant la démarche et les thèmes des deux auteurs sont différents. Je me permets ce rapprochement car Lovecraft a théorisé parfaitement bien l’approche du surnaturel en littérature. Il y a même consacré un ouvrage étonnant d’érudition que je vous invite à découvrir dans le texte qu’en avait écrit mon collègue Alexandre ici. Il me semble être demeuré le modèle idéal à l’aulne duquel évaluer la réussite ou non du genre. Nevill n’est peut-être pas encore un maître, mais il est certainement un élève remarquable.
Jérôme Vermette