Fanie Demeule : le corps purgatoire
9782894488713
Déterrer les os | Septentrion [Hamac]
«Malgré tout je sais que mon corps veut me backstabber.»
Après ma lecture de Déterrer les os, en quête d’un dénouement à sa fin ouverte, je reviens au début du roman et remarque une phrase qui m’avait échappée : « Dans le monde d’avant, ma faim a dû être tellement immense que jamais plus elle ne pourrait se combler dans cette vie. » Laissant présager le manque incommensurable qui viendra hanter la narratrice et la mènera à l’excès, l’affirmation fait écho à une autre, retrouvée quelques paragraphes plus loin : « Lorsqu’on m’impose une fin, une partie de moi s’effondre un peu plus. » Empreint d’une grave lucidité, le récit relatera ainsi les troubles alimentaires d’une jeune femme et sa constante confrontation avec son corps, ce corps qui immuablement lui impose une faim qu’elle ne peut ni ne veut assouvir.
Par fragments allant d’une ligne à plusieurs pages, elle raconte les moments formateurs de son enfance et de son adolescence, toujours marqués par l’obsession de « déterrer » ses os de leur enveloppe charnelle afin qu’ils saillent à travers sa peau. Complètement isolée dans son désir maladif, elle en oublie peu à peu ce qui l’entoure, toute à l’écoute de son squelette. Sa chair, ses muscles, eux, se rebellent : palpitations, évanouissements, crampes, tremblements incontrôlables… En ignorant son cri du cœur, son cri du corps, on lui diagnostique une hypochondrie capricieuse et la renvoie chaque fois à sa peur de mourir, en mentionnant au passage un poids « limite ».
À la fois très intime et distancié de sa charge émotionnelle par un morcellement textuel étudié, Déterrer les os oscille entre une apathie et une vigueur rapprochant la narratrice d’un désespoir croissant où le corps est purgatoire, un lieu entre la vie et la mort qui lui rappelle sans cesse les fautes à expier. Grâce à la puissance évocatrice de son style, Fanie Demeule ne peut qu’inviter le lecteur à se noyer avec elle dans un récit – jamais lourd – qui fait entendre les chants de sirène d’une vision toute contemporaine de la beauté féminine.
Anne-Marie Bilodeau