Enfanter de nous
Les suggestions de Virginie
Un espace entre les mains d’Émilie Choquet
L’année dernière, avec Ce qu’on respire sur Tatouine et Ouvrir son coeur, je découvrais des voix d’une vibrante honnêteté. Des voix qui ne sacrifient rien au profit d’une phrase plus belle, qui cherchent plutôt le vrai et l’authentique. Nouvelle et déjà du lot, celle d’Émilie Choquet relate dans ce premier récit un sombre épisode de dépression post-partum. N’ayant du journal que l’apparence, les fragments qui composent Un espace entre les mains ont plutôt nécessité un effort de remémoration un an après l’événement. C’est certainement cette distance dans l’écriture qui empêche l’auteure de basculer dans le mélodramatique et qui lui permet ses pointes d’humour, conférant du même coup au texte cette qualité hautement littéraire. Émilie Choquet cible des moments précis qui sont des plaies ouvertes, et qui n’ont rien à voir avec la césarienne. Petit à petit, on voit son esprit perdre le contrôle, le contact avec la réalité, se perdre lui-même dans un glissement de terrain duquel personne n’est à l’abri. Au-delà de l’expérience de l’accouchement et de la maternité, c’est une voix féminine qui se déploie en porte-à-faux avec son époque – son agenda ordonné, sa perfection standardisée. Un témoignage de lâcher prise des plus humains, en somme.
« La ménagère, la prof, l’amante, l’amoureuse, la soeur, l’amie à l’écoute, l’enfant modèle se battent pour quelques heures de la journée, ces heures où je ne suis pas en train d’allaiter ma fille. Je me regarde décevoir l’une après l’autre ces facettes de moi-même. »
La transition, c’est maintenant de Laure Waridel
Au moment d’aborder les enjeux environnementaux, le discours scientifique est unanime et alarmant, alors que celui des médias devient parfois un peu trop polarisant. Le discours de Laure Waridel, pour sa part, a quelque chose de rassembleur. L’auteure s’exprime à la fois avec fermeté et douceur, urgence et respect, ce qui rend son écriture accessible et intelligible à tout lecteur. Dans son ouvrage, elle questionne nos habitudes de consommation, de transport, d’habitation: toutes ces habitudes qu’il nous faudrait encore modifier, si cela ne nous apparaissait pas comme une montagne au sommet inatteignable. Mais en lisant Waridel, on réalise que l’ascension sera beaucoup plus aisée si l’on se dote d’abord d’une nouvelle façon de penser – la richesse, le bonheur, l’économie. L’auteure admet que les chantiers sont nombreux et qu’il nous est impossible, en tant que citoyen, d’être de tous les fronts de bataille, mais demeure persuadée que notre salut collectif passera par ce changement de paradigme qui s’opérera d’abord « dans notre tête et notre coeur ». Ne laissant rien au hasard et s’appuyant sur des exemples concrets, cet ouvrage permet d’étoffer notre réflexion sur les enjeux globaux d’une transition nécessaire. Il nous rappelle avec grande pertinence qu’« acheter, c’est voter », et nous donne un élan vers l’avant.
« La transition écologique de nos sociétés est une occasion formidable de choisir une meilleure qualité de vie pour tous, dans le respect des limites planétaires. […] La transition n’est ni à droite ni à gauche, mais devant. »
Les falaises de Virginie DeChamplain
La découverte du corps inanimé de sa mère sur la grève gaspésienne force le retour de V. au bercail. C’est l’automne. Assise sur un matelas au milieu du salon déserté, elle est avalée par les souvenirs, gardés par cette maison qu’elle retrouve mais aussi les carnets de sa grand-mère qu’elle lit pour la première fois. Ils sont ceux de son enfance atypique, ceux de sa mère vagabonde, exaltée et tempétueuse, ceux de son village et de ses ancêtres, et tous lui appartiennent désormais. Dans ces limbes maternelles, V. trouvera son propre destin de femme en gestation. Au-delà de la mort et du deuil, il s’agit là d’un récit initiatique et filial que Virginie DeChamplain a voulu farouchement féminin et poétique, du Québec à l’Islande. Les falaises, ce sont les récifs du fleuve, les collines étrangères, l’épaule nue d’une femme, tous ces endroits vertigineux où il nous faut, sans réelle emprise, tenir en équilibre.
« J’ai peur de ce qu’y a là-dedans, de ce qu’elle a trouvé à raconter toutes ces années. Impatiente de ces années de village de fond de rang, enroulées dans le temps qui roule, en silence à part le bruit des vagues. Est-ce que je vais déterrer des morts qui dormaient dur, leur squelette mangé par les vers? J’ai peur de la lire et de me lire, moi. De découvrir que rien a changé. Qu’on se transmet le temps d’une génération à l’autre sans que rien avance. Qu’on s’aime à rebours, quand il est trop tard. » En librairie le 25 février.
Virginie St-Pierre
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