Encabanée par Gabrielle Filteau-Chiba
9782897721046
Gabrielle Filteau-Chiba – Encabanée | XYZ
Après avoir refermé le roman d’Anne Hébert, Gabrielle Filteau-Chiba rapatrie ses crayons, respire un grand coup et prend une décision irrévocable : quitter Montréal. Quitter la ville, la morosité, les files indiennes, les soucis d’apparence et de performance. Partir loin, creux dans le bois, dans un camp forestier de Kamouraska. S’encabaner.
On n’imagine pas le nombre de citadins qui entretiennent ce fantasme de simplicité volontaire, ou du moins une vision très romantique de la chose. Mais combien passeront réellement de la parole aux actes, pour comprendre que la réalité est tout autre? Le premier hiver qu’elle passe dans sa cabane surprend Gabrielle F.-C. par sa rudesse inconcevable, autant pour le corps que pour le moral. Les pattes de mouche qu’elle écrit à la lueur de son fanal, tantôt au stylo tantôt au plomb quand l’encre gèle, constitueront bientôt son premier roman, Encabanée (2018, XYZ).
Sans eau courante ni électricité, juste un panneau solaire que l’hiver a givré; sans plus de radio ni de recharge cellulaire, Anouk, la protagoniste du roman, est totalement coupée du reste du monde. Une vague de froid intense survient et perdure la première semaine pleine de janvier. Tout ce temps, elle tient un carnet de bord où elle liste, cite, compile et tente de comprendre ce à quoi elle est confrontée.
Elle écrit pour vaincre le froid et la peur de mourir dans son sommeil parce que le feu s’est éteint, mais aussi pour vaincre la solitude, pour se confier à quelqu’un. Son écriture est vive et spontanée et nous prend à témoin de la transformation qu’elle vit. Ainsi, soumise aux humeurs de la nature, Anouk n’en devient pourtant que plus reconnaissante. Un sentiment de gratitude se glisse partout entre ses mots. Ce qui nous était apparu comme une prison au départ – la cabane gelée – se révèle peu à peu être une oasis de liberté.
Encabanée, c’est également la réflexion d’une militante qui a trouvé une manière de résister en harmonie avec ses valeurs, ce qu’elle appelle avec le sourire le « féminisme rural ». Pour la battante de première ligne qu’elle a toujours été, ce retour aux sources, ce repli sur soi, est paradoxalement ce qui lui redonne espoir en l’humanité. Si Anouk reconnecte avec le territoire, avec le savoir-faire des anciens, c’est donc avec une lucidité nouvelle – protectrice, militante, responsable. Dans la réflexion qui naît au creux de cette cabane, dans la forêt dense aux abords de la rivière Kamouraska, le passé et le présent tendent contre toute attente à se réconcilier.
Le roman laisse se déployer la beauté de la nature, qui saisit Anouk même dans les moments les plus difficiles. Le dépouillement et la simplicité de sa poésie font contrepoids à la lourde menace des projets pétroliers qui plane sur le Bas Saint-Laurent, surtout dans les derniers chapitres.
Une lecture qui m’a rappelé à la fois Thoreau et Tire le coyote, avec les illustrations de l’auteur en prime.
Virginie StPierre