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Les deux royaumes de Pierre Vadeboncœur

9782892950885
Les deux royaumes | Typo

À quelques exceptions près, il semblerait que la mémoire de Pierre Vadeboncœur ne soit aujourd’hui garantie que par les interventions salutaires de Bernard Émond, dont les rapports trop tôt interrompus avec l’écrivain n’empêchèrent pas la formation d’un lien étroit entre ces deux sensibilités inquiétées par les projets de la modernité. Après s’être dédié une vingtaine d’années aux luttes syndicales, Pierre Vadeboncœur s’ouvrit pleinement aux poussées de préoccupations qu’il était incapable de contenir plus longtemps. Les deux royaumes serait ainsi « le seul de [s]es livres qu’[il] n’aurai[t] pas pu ne pas écrire. » (p. 208) Nous sentons en effet que les nécessités de l’action syndicale ont retenu à la manière d’une digue les pensées les plus graves sur notre époque, accumulées dans l’esprit obscurci de cet homme entrevoyant la faillite d’une civilisation, aussi bien dire des remparts nous défendant du pire de nous-mêmes.

Avec grande prudence et pudeur, et pour assurer l’intégrité de ce qui surgit en lui comme une saison inconnue, mais aperçue de loin en loin, le livre s’ouvre sur la tentative de partager la lente progression d’une conscience vers les espaces de sa vraie destination. Lent, périlleux et difficile, c’est un acheminement dont les voies sont obstruées par une espèce d’abandon de tout un chacun au profit de l’immédiat, d’un présent désengagé et désenclavé de toute forme d’épaisseur culturelle, d’une conduite que les notions de vérité, de beau et de bien n’inspirent plus, d’une pratique de la condition humaine l’officiant à une négation en acte de tout ce qui rend digne le sacrifice de son ego. « Alors j’ai cherché, non comme on étudie mais comme on peine » (p. 189), confie Vadeboncœur , dont l’honnêteté perce chacune des pages pour nous convier à un recueillement que l’on ne connaît plus. Dans une langue classique, exercée et incroyablement précise, l’écrivain dresse en chapitres une cartographie de ces régions essentielles à l’esprit et débute sans prévenir par l’art du roman. Une pensée aux mains d’orfèvre tourne la matière du langage pour en laisser entrevoir la noblesse à nouveau. S’en suit un éloge du dessin et de sa supériorité – spirituelle, dirions-nous – sur les procédés mécaniques et largement extérieurs de la photographie. Un dessin que l’on redécouvre ne convoque pas le souvenir, une disposition de temps et d’espace plus stérile pour l’auteur que la mémoire, vivante et résonnante.

Or, de tout le livre, « La lézarde » en est peut-être la partie la plus inspirée. La forme suivie de l’ouvrage le cède ici aux aphorismes dont la hauteur de vue donne à penser qu’il eut été tout à fait possible à Vadeboncœur de prolonger son essai d’encore plusieurs centaines de pages. Toujours avec cette sincérité douloureuse, il porte des coups décisifs contre les poncifs d’une modernité qui érige son royaume sur les ruines du sacré. À ce propos, et pour clore cette brève et bien incomplète recension, il convient de laisser la parole à Vadeboncœur : « Il y a deux royaumes, l’un irréductible à l’autre, et la première vérité humaine consiste à connaître ce fait. C’est la première distinction et la plus nécessaire, la plus effacée aussi, la plus délibérément brouillée ; en apparence, la plus austère, en vérité, la plus douce. L’équivoque commence quand on ne fait plus la différence. Il y a bien deux royaumes. » (p. 189)

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2 commentaires

  • NADOU LOYAT

    6 janvier 202017 h 53 min

    Je cherche Les deux royaumes de Pierre Vadeboncoeur …pour l’acheter ! Est-il disponible chez vous ? Merci .

    • Laliberte

      9 janvier 202019 h 10 min

      Bonjour,
      Merci de votre intérêt pour cet article et ce livre. Le livre Les deux royaumes de Pierre Vadeboncoeur est désormais épuisé chez le distributeur. Il nous est donc, malheureusement, impossible de le commander.