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Discours décadent et spirale phobique

9782070107032
Winock, Michel
Décadence fin du siècle
Gallimard

« Tout décade »

WinockDans Décadence fin de siècle, Michel Winock avalise l’idée que la scène sociale de la fin du 19e siècle est occupée par des peurs collectives. Embaumée entre autres sous la forme d’une « anémie collectivei » ou d’une « exaspération mystiqueii », la trame phobique de cette époque sociale constitue avant tout « une idée vague, une représentation pessimiste du monde, une nostalgie de ce qui n’est plus, une création de l’imaginaire maussade, alarmiste ou carrément désespéréiii ». La déchristianisation de la France, la nouvelle place de la femme dans la société, la progression des théories matérialistes, la remise en cause des dogmes religieux par la science et les progrès électoraux du socialisme contribueront à «  remettre en question l’ordre séculaire qui gouvernait la communauté nationaleiv ». En fait, il se trouve que « [l]a société ouverte qui s’édifie sur l’autonomie individuelle perturbe l’attachement de beaucoup aux normes d’un monde ancien, dans lequel la reproduction d’un état social que l’on imagine harmonieux assurait la juste hiérarchie des places, des hommes et des tâchesv. »

Décadence fin de siècle nous aide à percevoir ce bruit de fond qui accompagne les réactions de défense et d’adaptation d’une caste privilégiée d’artistes et d’hommes politiques face aux bouleversements de l’époque. À travers son périple analytique, Michel Winock convoque bon nombre de doxographes : Léon Bloy, Joris-Karl Huysmans, Joséphin Péladan, Jules Barbey d’Aurevilly, etc. Ces chantres de la Décadence exaltent un « état d’esprit de rejet, où concurrent […] un sentiment d’insécurité, la peur de l’avenir, le trouble provoqué par les mutations économiques, par les changements dans les mœurs, le recul de la religion et des valeurs traditionnelles au bénéfice des sciences occultes, l’indignation face aux scandales financiers, à la prétendue émancipation des femmes, à la présence jugée excessive des étrangers et à l’installation d’un nouveau régime politique dépourvue de l’autorité légitime et de la stabilité nécessairevi ».

Épousant les tendances dominantes de l’imaginaire politique et social du 19e siècle, la littérature est vue comme cet écran sur lequel se projettent la pensée décadentielle et le grand Dégoût du siècle. La littérature semble être le moyen privilégié par les réactionnaires pour exprimer la condamnation des mauvaises mœurs, le dépérissement de la France, la peur des masses, le nihilisme, la misogynie et les visions catastrophistes. Péladan utilise, par exemple, son délégué narratif, le personnage Mérodack, pour pester contre les idéaux républicains tout en parant sa prose de barbarismes et d’archaïsmes. De son côté, Huysmans se sert de la fiction pour déclarer la guerre au siècle déclinant.

Tout bien considéré, l’essai de Winock nous sert de moniteur pour voir les manières dont les sociétés pratiquent leurs angoisses et pour comprendre comment chaque collectivité entretient un récit de son histoire. Le faisceau de Décadence fin de siècle se concentre sur des données transhistoriques et éclaire la façon dont les élites politiques et culturelles transposent, recomposent et transfigurent leurs hantises face aux changements. D’ailleurs, l’essayiste n’est pas sans soutenir que « [p]ar bien des aspects, ces réactions anticipent celles que nous rencontrons de nos jours, au début du XXIe siècle : cette fin du XIXe retrouve en effet une certaine actualitévii. »

Alexandre Laliberté

iMichel Winock, Décadence fin de siècle, Paris, Gallimard (L’Esprit de la cité), 2017, p. 7.

iiIdem.

iiiIdem.

ivIbid., p. 10.

vIdem.

viIbid., p. 24.

viiIbid., p. 11.

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