Lovern Kindzierski et «La trilogie de la Honte»
9782344014691
Shame – La trilogie de la honte | Glénat
Un conte de fées pour adultes
Celle que l’on appelle Mère Vertu vit ses dernières années. Une vie remplie au service d’autrui, à soigner les malades, à s’occuper des enfants; une vie menée par le sacrifice, pour le bien des autres. Mère Vertu est un véritable symbole de pureté. Or, le démon Injure est aux alentours de sa cabane le soir fatidique où elle énonce, dans le seul élan d’égoïsme qui ne l’aura jamais habité, le souhait de connaître, ne serait-ce qu’une fois, la joie d’être mère. En réalisant le souhait de la vieille dame, Injure devient le père d’une engeance qui viendra empoisonner l’existence de sa mère.
Malgré tous les sorts de protection qu’elle aura mis en place pour préserver l’innocence de sa fille, qui sera baptisée Honte, et protéger le monde des machiavéliques machinations d’Injure, Mère Vertu devra mourir et renaître en tant que fille de sa fille afin de libérer le monde de la démoniaque tyrannie. Cela est représenté dans une scène fameuse impliquant à la fois le concours d’un incube/succube et un pacte avec une terrifiante figure démoniaque échangeant l’âme d’un enfant pour celle de la vieille dame.
Voilà tissée, en traits grossiers, l’histoire écrite par Lovern Kindzierski et mise en image par John Bolton, Shame. Œuvre hors-norme, elle vient tout juste d’être publiée en français et dans son intégralité par les éditions Glénat sous le titre La trilogie de la honte. Autant pour la joie de lire une histoire passionnante que pour le plaisir des yeux, ce livre est du bonbon. Jetons-y un coup d’œil.
Le scénario d’abord. En préface, Kindzierski mentionne que son récit est né d’une histoire qu’il racontait à sa femme afin de se tenir éveillé en conduisant la voiture lors d’un voyage. On ne sera pas étonné dès lors de constater que le ton lyrique de cette bande dessinée rappelle les contes de fées les plus classiques. En quelques phrases, employant toujours les mots justes, il réussit à évoquer toute la richesse complexe des meilleurs univers de fantaisie. À l’instar de ceux des contes, les noms des personnages suffisent à évoquer leur caractère : il y a Vertu, bien sûr, et sa fille Honte, mais également le chevalier Mérite.
Kindzierski n’aurait pu rêver d’avoir meilleur artiste visuel que John Bolton pour mettre son univers en image. Bolton sait tirer le meilleur parti du pouvoir d’évocation du scénariste. Le visuel des personnages est élaboré de telle sorte que leur apparence trahit, pour le lecteur, leur personnalité. Les dryades qui, au cours du récit, se métamorphosent en créatures du mal; Honte qui a à la fois le regard de l’innocence mais l’accoutrement d’une sensuelle décadence; Vertu passe de la paisible vieille dame à celle de la guerrière enflammée; Mérite, le preux chevalier, dispose d’un physique un peu disgracieux mais on sent tout de suite chez lui le courage et la naïveté des héros de contes de fées.
Visuellement, chaque planche est une œuvre d’art quasi autonome. Bolton a réalisé chacune d’entre elles en couleurs directes à l’aquarelle et le résultat a de quoi laisser pantois. Son découpage, composé uniquement de grandes cases, lui permet d’élaborer des décors magnifiques, et de faire passer l’action rapidement. De toute évidence, l’art de Bolton s’avère être le médium idéal à la poésie de Kindzierski. Et, bien sûr, comme tout conte de fées qui se respecte, la finale est riche de symbolique, une véritable épiphanie pour les personnages concernés.
Le public francophone ne peut que se réjouir de cette superbe édition de La trilogie de la Honte. Il s’agit là d’une œuvre dans laquelle nous pouvons nous plonger et replonger avec un plaisir sans cesse renouvelé. Une courte entrevue avec les auteurs a été ajoutée à la toute fin. Ceux-ci nous entretiennent de leur démarche dans la réalisation de cet album; à notre plus grande joie, ils parlent également de la suite sur laquelle ils travaillent actuellement. Comme quoi, les amateurs du genre pourront vivre heureux et avoir encore beaucoup de… plaisir!
Jérôme Vermette
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